vendredi 5 juin 2009

Le village de Saint-Abécé

Il y a des ces soirées, où tout semble s’arrêter. Le vent cesse inexplicablement de souffler. La pluie s’épuise de tomber et reste emprisonnée de ses geôliers nuageux. Le ciel garde jalousement ses étoiles loin des regards. Les gens s’enferment à double tour derrière leurs portes doublement verrouillées, bien à l’abri. À l’abri de tout. Aucune alarme ne se déclenche jamais, aucun sismographe ne s’affole, aucune feuille d’aucun arbre ne vient s’échouer sur le pavé humide des rues désertes comme si même l’automne refuse de s’y éterniser. Il y a de ces villages où ces soirées monotones s’installent et se repartent jamais. Saint-Abécé était l’un d’entre eux. Ce soir-là, rien ne laissait présager que la situation puisse être différente. Rien à priori ne devait troubler l’atonie de ses villageois et le calme réconfortant de ce petit hameau paisible et dénuée de couleur qu’était Saint-Abécé. Un village à la hauteur de ses villageois, confortablement inerte, bordé au nord par un fleuve aussi noir que pollué et au sud, par une route que personne n’emprunte jamais. Une bourgade à l’abandon, courbée par la vieillesse, rugueuse, inodore, teintée de gris où rien n’est trop blanc ou trop noir et encore moins trop coloré. Déserté de toute palpitation, Saint-Abécé n’offrait à ses rares visiteurs qu’un calme relativement ennuyeux si bien qu’il y avait longtemps que ces derniers n’avait été vus dans ses rue aux maisons identiques et aux pelouses jaunies. Une population tétanisée, immobile, cachée derrière ses fenêtres camouflées de voilages épais et opaques. Tout portait à croire que cette soirée-là serait comme toutes les autres; froide, lisse, inodore…vide. Un jour d’octobre tout ce qu’il y a de plus banal. Comme à leur habitude, les citoyens avaient désertés les rues à la tombée de la nuit. Non pas que la nuit à Saint-Abécé fût dangereuse pour ses habitants, loin de là, mais simplement parce qu’il n’y avait rien à ajouter à leur routine si peu malléable. Aucun client dans les restaurants et aucun spectateur dans le théâtre délaissé par ses acteurs. Uniquement le silence. Un silence lourd et profond qui aurait vite fait d’engloutir quiconque se serait aventuré par inadvertance dans les rues désertes. Un village fantôme, habité d’êtres embaumés et figés dans le temps. Et pourtant, j’étais là, bien vivante et courant à toutes jambes dans l’ultime espoir de le rester. Ma robe de soirée bleue azur n’était plus digne d’être appelée par ce nom. Souillée de terre et de boue, ses parures en dentelle reposaient en lambeaux sur mon corps meurtri par le froid. Mon manteau, comme mes escarpins avaient disparus depuis longtemps et ma peau bleuit hurlait de douleur à défaut de ma propre voix. Aucun son ne voulait sortir de ma gorge. Je ne voyais ni où je mettais les pieds, ni où ces derniers me portaient. Je tombai sur le bitume rugueux et m’écorchai les genoux au passage. Je me relevai sans regarder derrière moi. Fuir. Mon cerveau n’avait que ce mot en tête. Il était paralysé par la peur et n’avait plus que cette fonction en service. Fuir, plus vite, plus loin et surtout ne pas me retourner… Courir le plus rapidement possible et ne m’arrêter en aucun cas même si mes poumons en feux me suppliaient de ralentir la cadence sous risque de se liquéfier dans ma cage thoracique. J’étais incapable de voir quoi que ce soit. Ma vision, brouillée par les larmes ne me laissait entrevoir que des parcelles de rues embrouillées et les faibles lueurs émanant des maisons qui défilaient à toutes vitesse. Je m’étais certainement mordue la langue car un goût de sang avait envahi ma bouche, chaud et métallique. Le sang épais coulant le long de mon œsophage empêchant l’oxygène se rejoindre mes poumons à l’agonie. Haletant et épuisé, mon cœur en ébullition était sur le point d’exploser dans ma poitrine. Je bifurquai sur une rue identique à celle que je venais de quitter. Étais-je en train de tourner en rond? Allais-je me retrouver à mon point de départ, là où la terreur avait pris toute l’espace disponible dans mes entrailles et ma chair? Il me fallait trouver de l’aide, sans quoi je m’affalerais sur le sol, à la merci de mon bourreau. Les pas de mon assaillant se rapprochaient et je sentais pratiquement son haleine fétide m'effleurer le dos. J’accélérai la cadence mais il était évident que je ne pourrais tenir encore longtemps à ce rythme. Au moindre relâchement, à la moindre faiblesse, c’était la mort assurée. Titubante et à bout de force, je me précipitai à la porte de la première demeure accessible. Une maison à la peinture jadis probablement blanche mais que des années de négligence avaient ternie et écaillée. Les fenêtres crasseuses laissaient filtrer une lumière ocre par la fente des rideaux tirés. Je m’élançai sur la sonnette comme un assoiffé sur un verre d’eau dans le désert. J’entendis retentir le carillon à l’intérieur. Le rideau s’entrouvrit brièvement pour se refermer aussitôt. Je cognai de tout mes forces sur la porte et gémissant. N’y avait-il personne d’assez humain dans cette demeure pour me venir en aide? Allait-il rester cloîtré derrière sa fenêtre à me regarder me faire tuer sans même réagir? Soudain, un mouvement derrière moi me fit tressaillir et aussi soudain qu’inattendu, un hurlement d’échappa de ma gorge. Mes cheveux en broussaille s’hérissèrent sur mon crane et une douleur fulgurante me transperça. La terreur en m’irradiant, fut incroyablement douloureuse. La porte s’ouvrit enfin. Une vieille dame à la peau flétrie et aux dents gâtées se tenait devant moi. Une cigarette à moitié consumée aux lèvres et vêtue d’un peignoir probablement aussi vieux qu’elle et sali d’une multitude de taches de gras et de restants de repas me dévisageait avec un air mauvais. «Non, mais c’est fini ce boucan?» me lança-t-elle d’une voix rauque, abîmée par de années de tabac et fort probablement d’alcool étant donnée les effluves qui me parvinrent lorsqu’elle ouvrit la bouche. «Fichez le camp de chez moi ou je vais vous donner une bonne raison de hurler, c’est moi qui vous le dit!» «Aidez moi, je vous en supplie!» furent les seuls mots que je parvins à sortir de ma bouche. «Dégagez! Et tout de suite…» Je sentis mes jambes faillir sous mon poids quand elle fit mine de refermer la porte, «Attendez, vous ne comprenez pas. Ce n’est pas ce que vous croyez … Vous devez absolument m’aider. Il est tout prêt et il va me tuer si vous ne me laissez pas entrer. Je vous en supplie madame! Ne me laissez pas dehors. Je vais mourir, croyez moi!» La porte se refermait doucement sous mon nez et je voyais mes chances de survie disparaitre. «Rien à foutre de vos histoires. Chacun ses emmerdes!» Des larmes coulaient maintenant sur mes joues en brulant mes plaies au passage. Dans un sanglot, je parvins à articuler : « Par pitié madame, ne me laissez pas ici. Je vous supplie de me laisser entrer. Je vous dédommagerai comme il se doit… Je ferai tout ce que vous voudrez, je…» «Ah ah ah ah ah !» Elle riait! Cette vieille mégère décrépie riait! J’étais à sa porte, à moitié nue par une température frisant le 2 degrés Celsius, le corps couvert d’ecchymoses, à la supplier de me sauver la vie et cette affreuse sorcière riait! Une colère sans nom envahit ma tête et ce fut d’une voix tremblotante que j’articulai : « Arrêtez de rire et aidez moi! N’avez-vous donc aucun cœur?» Sa bouche se pinça et ses lèvres blanchirent sous la pression. « Et qu’est-ce que vous fuyez au juste mademoiselle l’hystérique?» «…» «Dites-le moi ou je ne vous laisse pas passer le seuil de cette porte. Je veux savoir ce qui risque de venir vous pourchasser jusqu’à l’intérieur de ma maison. En vous laissant entrer, qui sait ce que vous risquez d’attirer chez moi…» «…Un … Éh bien… euh… c’est que … Je…» « Oui?» souffla-t-elle. Je pris une grande inspiration et tout mon courage. Je redoutais qu’à mes aveux, elle refuse de me laisser entrer. Il était beaucoup trop terrifiant et il serait normal qu’elle soit terrorisée à l’idée de tomber nez à nez face à lui. « Promettez-moi de m’aider si je vous le dis!» «Je ne vous promet rien! Je suis ici chez moi et je ferai ce que bon me semblera!» Avais-je seulement d’autres choix? Je devais lui dire la vérité, aussi atroce qu’elle puisse être et je refusais de mourir toute suite. Je me lançai : «…Un écureuil.» finis-je par dire. Et elle s’écroula à mes pieds. Son cœur, dans un ultime moment de terreur avait cessé de battre. Elle venait de mourir de peur sous mes yeux. Derrière moi, j’entendis le ricanement malicieux de l’écureuil savourant sa victoire et sentis ses deux 'tites dents transpercer ma peau. Fin.

4 commentaires:

Fel-X a dit...

Hahahahhahah ! J'avoue que je ne l'avais pas vue venir celle-là !

Chantale a dit...

AHAHAHAAA!!!!!! Bravo Geneviève!!! Quel suspense!!! :-)))

Christine a dit...

Super bonne histoire! Ça vient confirmer la mauvaise impression que j'ai de ces petites bêtes.
J'aurais dû te montrer les traces laissées dans notre maison par l'un de ses congénères...et la peur que j'éprouve encore à la pensée de l'avoir presque achevé avec une pelle! Je te raconterai!

Ge a dit...

J'aime bien le " presque achevé " !!!