jeudi 30 décembre 2010

Diane

J'ai 17 ans. Je suis avec mon tout premier chum et il entreprend de me présenter sa mère. Sur l'Avenue Mont-Royal, au coin de Lanaudière, on monte au deuxième et dernier étage d'un immeuble abritant un coiffeur au rez-de-chaussée et deux logements aux étages supérieurs. L'appartement est grand et dégage une sensation de bien-être. Une femme dans la fin quarantaine s'approche de nous. Elle est bien en chair, plutôt jolie, les cheveux courts et comblée d'une voix douce et apaisante. En temps normal, la première rencontre avec la maman de mon nouveau chum devrait me stresser au plus haut point (et les expériences suivantes dans ma vie de couple me donneront raison à ce sujet) mais étrangement, cette femme ne m'inspire que calme, quiétude et réconfort. Ludo me présente sa maman Diane (ou Didi pour les intimes). Il me présente aussi sa blonde... Je ne me rappelle plus de sa tête et j'en garde une sensation quelconque. Aussitôt, Diane me souhaite la bienvenue dans la famille et me dit à quelle point elle me trouve belle. Je venais de rencontrer une des femmes les plus spéciales et extraordinaires de ma vie. Pendant l'année et demie que durera mon premier grand amour, et les années suivantes où j'aurai l'occasion de revoir Diane, j'apprendrai beaucoup de choses. Faire brûler de la sauge pour chasser les esprits perturbés d'une maison.(...) Ma première dégustation d'un artichaud, mon premier verre de vin rouge, mon premier tarot, la découverte de Manu Chao, Monique Proulx, le fromage brie et ses projets artistiques pour les enfants de l'école primaire où elle travaillait... J'aurai aussi appris à parler un peu plus de mes émotions, de mes impressions et de mes goûts. Diane était, à l'époque où je l'ai connue, une femme au summum de sa féminité avec des amours difficiles mais qui aimait les petites choses simples; ses fameux bains d'une heure chaque matin, ses moments d'isolement et de recueillement où sa bulle devenait son seul espace vital et que nuls ne pouvait transgresser. Une femme sur qui j'ai pratiquement vomi un soir où une soudaine fièvre m'avait pratiquement fait m'évanouir... Une femme que j'aimais profondément. Il y a quelques années, Diane à été diagnostiquée avec un cancer du sein. Toujours remplie d'espoir et d'optimisme, elle entreprend une radiothérapie. S'en suivra une rémission qui ne durera pas. Les lésions vont finir par revenir et avec elle, d'autres régions touchées. Elle débutera une chimiothérapie éprouvante qui se soldera elle aussi par un échec. Il y a un peu plus d'un mois, la chimiothérapie fut cessée. Il n'y avait plus rien à faire. On lui donnait au mieux, 6 mois à vivre. Au pire, 1 mois. Le pire est survenu. Après 2 ou 3 semaines de soins palliatifs à domicile, Didi a été admise à l'hôpital pour y terminer sa vie. J'ai appris le 18 décembre, lors d'un souper entre amis, que la fin approchait. C'est dans cet hôpital qu'elle a cessé d'être malade. C'est bien ça, cessé d'être malade... au prix de sa vie malheureusement. C'est là que j'ai vu cette femme jadis en chair, maintenant couchée dans un lit trop grand pour elle. Elle n'avait plus que la peau sur les os... Et un coeur! Un coeur si gros, si grand et si beau qu'on en oubliait presque la maladie. Et une lueur dans les yeux lorsqu'elle me demande:
Es-tu encore amoureuse?
C'est la question qu'elle m'a posée sur son lit de mort. Même en sachant que sa vie ca s'éteindre bientôt, mon bonheur semble assez important pour elle pour qu'elle mette sa souffrance de côté et s'en inquiète. Il y a aussi son coeur à elle qui était habité par une nouvelle flamme depuis quelques semaines. Un coeur habité par une femme que je n'avais encore jamais vu mais que j'aimais déjà. Une femme que j'allais rencontrer le 23 décembre dernier, alors que son amoureuse en était à ses derniers moments de vie. De ce soir-là, je garde une image douloureuse de ma belle Diane et je ne m'attarderai pas là dessus. Tout ce que je peux dire, c'est que la grande faucheuse est laide. Didi s'est éteinte dans la nuit du 24 au 25 décembre, à l'âge de 62 ans, 6 mois et 1 jour. Cette femme qui ne croyait pas du tout aux histoires du petit Jésus et qui en riait avec un petit air espiègle, aura bien choisi son heure! Je l'imagine nous dire:
Je vais vous donner une meilleure raison de vous remémorer une personne à Noël... Et de boire du vin!
C'est promis Diane, je vais vivre mes prochains Noël en buvant un verre à ta mémoire. Je t'aime.